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7-8 juin 1940 - La bataille pour les ponts de la basse Seine



Les corps francs motorisés et la bataille pour les ponts de la basse seine.

Nous vous proposons dans cet article trois textes relatant les batailles autour des ponts de la seine, près de Rouen. La mise en perspective de ces trois textes permet de mieux appréhender le contexte de la bataille de France, le dévouement des troupes francaises et l'implacable stratégie des Allemands...

Introduction

Après la débâcle de Sedan, il fut décidé de constituer des corps francs motorisés en juin1940, au COMAM (Centre d'Organisation de Motocyclistes et Automitrailleuses) à Monthlery. Ces escadrons autonomes, initialement destinés à renforcer la défense de la Somme, furent en fait déployés aux environs de Rouen début juin pour protéger les ponts de la basse Seine.



Nous vous proposons trois témoignages sur ces évènements :
·    Un résumé de l’histoire de Guy Boislandry DUBERN, commandant le peloton de char du 4ieme CFM. Ce CFM prit place au Pont de l’Arche pour protéger ce pont en attendant sa destruction.
·    A quelques kilomètres de là, le deuxième corps francs motorisé occupe le village de Boos et résiste aux assauts allemands. Il voit passer plusieurs centaines de chars !!!
·    Pendant ce temps, Rommel tente de faire passer ses troupes entre ces deux villages pour atteindre les ponts de la seine à Elbeuf (carnet de Rommel, traduction site : www.batailles.net/fr/)

On peut voire sur la carte suivante l’emplacement des CFM n°2 et 4.
Le trajet de Rommel passa par les villages notés de [1] à [4].


 

Quatrième groupe franc de cavalerie, le combat du pont de l’arche.

Ceci est un résumé de l’histoire de Guy Boislandry DUBERN, commandant le peloton de char du 4ieme CFM. www.ublog.com/Boislandry/2005/10/23

4ème Groupe Franc, commandé par le capitaine François Huet, héros des combats de Belgique du mois de mai 1940 et futur commandant militaire du maquis du Vercors en juin 1944. C’était un homme remarquablement énergique et un chef exceptionnel. Outre le capitaine, l’encadrement du Groupe Franc comprenait deux lieutenants et une demi-douzaine de sous-lieutenants et aspirants. L’effectif total était celui d’un escadron, un peu moins de 150 hommes. Entièrement motorisé, le Groupe Franc, était composé de trois pelotons de canons anti-chars, d’une section de mitrailleuses, d’un peloton d’automitrailleuses et d’un peloton de chars, dont Huet confia le commandement à Guy. Ce peloton, incomplet, comprenait trois chars Renault de 18 tonnes. Ils étaient remarquablement bien armés pour l’époque, avec un canon de 47 mm, rapide, puissant et précis, ainsi qu’une mitrailleuse lourde. Ils étaient en revanche lents, avaient une faible autonomie, un blindage trop mince (25 mm), devaient être graissés avec de l’huile de ricin, introuvable, et n’avaient pas été équipés de leur radio, faute de temps… Au total, le peloton de Guy comprenait une quinzaine d’hommes, dont deux aspirants (lui même et son camarade Lepage).
Le 7 juin, les Groupes Francs prirent la route en direction de la Somme, via les stratégiques ponts de la Basse Seine situés à l’est de Rouen. Ils étaient parvenus là, dans cette région normande encore épargnée par la guerre et pratiquement non défendue, lorsque, le 8 juin, les nouvelles de l’effondrement du front arrivèrent jusqu’à eux. L’avant garde allemande, la 7ème division blindée du général Rommel, n’était plus qu’à quelques heures de route et fonçait vers Rouen. Chaque commandant de Groupe Franc reçut l’ordre de prendre position en avant de l’un de ces ponts, incontournables points de franchissement de la Seine, seulement gardés par quelques réservistes d’un régiment territorial. La mission assignée par le haut commandement était claire : tenir sur la rive droite aussi longtemps que possible, pour permettre le repli d’un maximum de troupes françaises puis couvrir les unités du génie chargées de la destruction des ponts.

 


Le 4ème Groupe Franc de cavalerie du capitaine Huet prit position dans le bourg situé en avant des ponts routier et de chemin de fer de Pont de l’Arche. L’un des trois chars du peloton de Guy était en panne, sur son porte engins, et il espérait sans grand espoir le faire réparer avant le début des combats, car les moyens étaient comptés. Un régiment d’infanterie britannique, déployé à quelques kilomètres au nord, devait tenir les hauteurs, en zone rurale, puis se replier vers le bourg et le pont pour renforcer le Groupe Franc. Comme Guy parlait anglais, Huet l’envoya en début de soirée, comme officier de liaison, à bord d’un side-car. L’accueil britannique fut excellent et plutôt optimiste, et Guy revint bientôt vers son capitaine avec des renseignements sur l’avance allemande, des bouteilles de Whisky et de Porto, et des cigares. Quelques heures plus tard pourtant, à la liaison suivante, le régiment allié avait disparu sans prévenir, vraisemblablement vers un autre pont, et, sans avoir rencontré la moindre résistance, l’ennemi commençait silencieusement à prendre le contrôle de la crête. Il était temps de troquer le side-car pour un char… Au cœur de la nuit du 8 au 9 juin, allait s’engager, en zone urbaine et industrielle, l’action de retardement de Pont de l'Arche, modèle du genre, préfigurant la défense de Saumur par les cadets quelques jours plus tard. Avec quelques canons anti-chars et mitrailleuses le capitaine Huet tenait le bourg, soutenu par l’élément blindé mobile que constituaient sa poignée d’automitrailleuses et ses deux chars valides. Au final, lorsque le jour fut levé, que les munitions eurent été pratiquement dépensées et que l’ordre de destruction du pont lui parvint, Huet se résigna à organiser le repli de ses pelotons et à faire traverser in extremis autant de ses hommes que possible. Mais le combat n’était pas terminé. Parce qu’il fallait bien une arrière garde au Groupe Franc pour gagner le temps nécessaire au repli, les deux chars du peloton de Guy, qui défendaient l’entrée du bourg, demeurèrent sur la rive droite de la Seine, pont coupé. Un régiment d’infanterie de la division Rommel, sur side-cars, soutenu par des canons anti-chars, commençait à s’infiltrer dans les ruelles et le feu était nourri. Le blindage des chars légers Renault étant insuffisant, chaque impact d’obus et même de balle était ressenti à l’intérieur de l’engin et visible, sous l’effet de la chaleur. Ces éphémères cercles rougeoyants, du diamètre d’une pièce de monnaie, se reproduisaient à une cadence rapide et, l’habitacle du char étant peint à l’intérieur, l’équipage était fréquemment brûlé au visage par des projections de peinture fondue. En outre, le char de Guy ayant été touché à plusieurs reprises par des balles incendiaires, il lui fallut sortir de son blindé sous les tirs adverses pour les éteindre avec ses pieds et ses mains. Les instruments optiques de son char ayant été mis hors d’usage par un obus, Guy continuait à effectuer les visées et à commander le feu tourelle ouverte, jusqu’à épuisement des munitions. Lorsque ce moment fut sur le point d’arriver, chacun des chars avait tiré plus de 90 obus et des milliers de balles de mitrailleuse lourde. La position devenant indéfendable, les deux chars se regroupèrent vers la sortie du bourg, aussi près que possible de la Seine. Pour s’extraire des engins, l’aspirant Lepage donna l’exemple d’une idée astucieuse : percer doucement le mur d’une maison en marche arrière et y abriter le blindé. Avant de s’en aller, les équipages incendièrent leurs chars avec ce qui leur restait d’essence, pour les rendre inutilisables, puis les six cavaliers, légèrement armés, entamèrent leur retraite. Pour franchir, sous le feu allemand, les dernières rues, puis les prairies de la berge, Guy appliqua les enseignements de Saumur, “ Au signal et d’un seul bond ”, jusqu’au fleuve. Là, les six rescapés se dispersèrent pour accroître leurs chances de traverser la Seine, à l’exception d’un cavalier ne sachant pas nager, qui avait été équipé, d’autorité, d’une chambre à air en guise de bouée et traversa avec le meilleur nageur, Lepage. Il semble qu’ils passèrent tous, mais le “ peloton ”, dispersé sur la rive gauche, “ en vadrouille ”, ne se reconstitua que progressivement, et partiellement, au cours des heures suivantes, en rejoignant le 4ème Groupe Franc, toujours parfaitement opérationnel.

Vue du Pont de L'arche avant la traversée à la nage...




 

Deuxième groupe franc de cavalerie, la défense de Boos.


Le deuxième CFC est commandé par le lieutenant Huot.
Il est composé de :
Lieutenant Huot, deux autoblindées, deux  Somua S35, un peloton motocycliste et deux canons antichar 47mm SA37

Deux Somua S35 (lieutenant Limouzin et aspirant Gugenheim)
Deux autoblindées, probablement des AMD178  (lieutenant Ruffier d'Epenoux et adjudant Garcia)
Deux canons antichar 47mm SA37
Un peloton motocycliste et 4 fusil mitrailleur 1924/29

Le CFC arrive au village d Boos le 8 juin. A 16heure, l’unité est renforcée par le deuxième peloton antichar de cavalerie, commandé par le lieutenant Jacques Petit. Ce peloton comprend 6 canons antichar de 25mm, 3 fusils mitrailleur, trois motos, trois officiers et 70 hommes. Leur mission est d’empêcher la traversée de Boos par les Allemands, avançant en direction de Rouen et du Pont de l’Arche.

Le XV corps blindé du général Hoth s’approche de Rouen, avec la 5ieme et 7 ieme division de panzer. Le 8 juin, la 7ieme division de panzer (7ieme PzD) avance sur la route Rouen-Fleury sur Andelle, à 300 m au nord du village de Boos. Les premiersd éléments rencontrant les troupes francaises semblent être le 25ieme régiment de tank et le 7 bataillon motocycliste.
Des convois de troupes en retraite et de réfugier traversent le village. Jusqu’à 19H, plusieurs tank britanniques sévèrement endomagés traversent le village et retraitent. L’un d’entre eux à roulé 10km sans huile. Ce tank sera ravitaillé, mais son équipage ne sera pas capable de donner des informations utiles sur les positions ennemies.
Après 19H, la situation est calme et la mise en place de la défense de Boos est achevée : Barrage à chaque entrée, chars et canons en position le transforment en bastion fortifié. Un des canons de 47mm est déployé sur la route nord et défend l’accès est du village. Les barrages routiers sont dans la ligne de visée des canons antichars.
Le quartier général est installé à la poste du village, avec un central téléphonique. vers 21H, les lieutenants Huot et Petit inspectent les défenses du village. Lorsqu’ils sont près du canon de 47mm défendant le coté est, ils entendent des bruits de moteur et de chenille passant au nord.


Une colonne de tank venant de Franquevillette (*2 sur la carte) est repérée. Les chars avancent à 25km/h environ. On peut voir clairement la silhouette des chefs de char sur les tourelles. Les deux officiers se rapprochent pour essayer d’identifier les chars comme amis ou ennemis. Les tanks continuent et atteignent le barrage du croisement au nord de Boos. Le premier tank  le traverse et continue, ignorant le village de Boos [ on retrouve dans le récit de Rommel son ordre d’éviter les villages pour ne pas engage inutilement de combat, et percer facilement jusqu’aux ponts par surprise]. Les 9 autres tanks continuent. Le canon antichar de 47mm ouvre le feu, et trois tanks sont rapidement en feux. Après le premier tir, les chars sont refermés. Les allemands ripostent, et bientôt une trentaine de char sont déployés et réduisent au silence le canon AT. Plusieurs membres sont blessés.
Durant plus d’une heure, une colonne Allemande de 200 chars avanca le long de la route au nord de Boos, vers la seine à à peine 10km. Les chars sont suivis par des camions, des autoblindées et des transports de troupe. Une partie de la colonne et plusieurs tanks reçoivent l’ordre de prendre le village de Boos, qui en fait un détail dans l’avancée de la division de Rommel.
Boos sera attaqué durant toute la nuit, des trois cotés, mais les défenseurs tiendront bon. Le peloton motocycliste et les deux autoblindées constitue la réserve mobile, mais suivant Nobécourt, ils retraitent vers le pont de l’Arche à l’arrivée des premiers chars ennemis. Le lieutenant Huot reste en ville avec les deux somuas et les canons AT du lieutenant Petit.
Les troupes allemandes tentent de déborder les défenseurs par le sud, mais la réserve mobile viens contrer le mouvement. Néanmoins, l’ennemi progresse. Le somua de l’aspirant est mis hors de combat, celui du lieutenant Limouzin détruit 5 blindés allemands, mais sa tourelle est endommagée et reste bloquée.
Le second canon de 47mm est abandonné et le lieutenant petit doit modifier son déploiement antichar. Le canon antichar de 25mm de l’aspirant Lamouret détruit 7 voitures et camions et 3 motos. Celui de l’aspirant la Ville trois autoblindées et plusieurs camions. Le lieutenant Huot reste en contact au QG avec le général Duffour par téléphone.

Tout reste calme jusqu’à l’aube du 9 juin. Il fait encore noir lorsque 3 motos allemandes entrent dans le village, mais sont neutralisées par un fusil mitrailleur francais. Un antre blindé allemand est détruit par un 25mm, et trois autres chars lourds sont abandonnés par leurs équipages.
L’artillerie allemande entra alors en action. Le village commença à bruler et les allemands, encerclant maintenant le village, attaquèrent de tout coté.
Au téléphone, le lieutenant Huot recoit l’ordre de décrocher vers Rouen. Le jour se lève. Comment sortir de cet encerclement ? Trois chars allemands bloquent la route vers Mesnil-Esnard ( *3 sur la carte) et Rouen. Le Somua S35 du lieutenant Limouzin, malgré ses problèmes de tourelle, attaque et détruit les trois tanks en 5 minutes. Les troupes francaises (le CFC et le deuxième peloton antichar de cavalerie) réussissent à retraiter sans dommage jusqu’à Rouen. Seul un canon antichar de 25mm sera abandonné, son camion de transport en feu.
A 5 heure, le groupe traverse la Seine au pont Corneille. Les 5 canons restant et le Somua se place en défense autour du pont sous le commandement du commandant Lalande. Il est prévu de détruire le pont à la première tentative de traversée des troupes allemandes.
Ils sont renforcés par :
Un canon antichar de 47mm
Deux FT17 (lieutenant Fremery)
Deux AMD178 du CFC n°5
Onze hommes du 31ieme régiment régional
Le lieutenant Haudrechy et cinq sapeurs du troisième régiment du génie, qui installent les charges explosives sur le pont.
Les troupes allemandes de la 5ieme PzD arrivent au pont. Deux FM et deux canons de 25mm font feux. Le premier motocycliste est tué, et le premier tank est en feu. Les servants des canons antichar sont maintenant bien expérimenté depuis le début de la guerre. Le second char essaie de s’échapper par la droite, le troisième par la gauche, tout en tirant. Le quatrième tire à travers l’épave du premier char. Le barrage francais est en feu. Un servant est blessé, mais les tirs francais s’intensifie. Les deuxième et troisième chars allemands sont à leur tour en feu. La colonne allemande est stoppée et bloquée. Plusieurs maisons derrière les francais sont en feu, à cause des projectiles incendiaires. A 10h15, le pont est détruit.
 

Pont Corneille à Rouen, reconstruit en 1952, source Geoportail

Carte postale du Pont Corneille, source : www.visite-de-rouen.com/ponts.htm

Les carnets de Rommel

extrait issu de la traduction effectuée par le site :  www.batailles.net/fr/44.shtml


Rommel propose un coup de main sur Elbeuf
 
Le 8 juin, peu après 6 heures, j'appelai le Ia (bureau des opérations de l'État-major; désigne aussi l'officier qui en est responsable) au Q.G. du corps d'armée, l'informai de notre position et fis une proposition en vue de l'attaque projetée sur Rouen. Je suggérai que la 7e division de Panzers poussât jusqu'à un point à quelque 6 kilomètres environ de cette ville et feignît de l'attaquer directement par un tir d'artillerie, après quoi le gros de la division obliquerait vers le sud-ouest afin de saisir les ponts de la Seine à Elbeuf [à 18 kilomètres au sud-ouest de Rouen] par un coup de main et de brider la boucle du fleuve. Ayant reçu l'accord du Ia, je me rendis en hâte à l'église de Ménerval, où j'avais convoqué les commandants d'unité à 8 h. 30 pour leur donner mes instructions verbales. Afin d'accélérer l'allure, je pris le bataillon de tête sous mon commandement personnel. Nous partîmes à 10 h. 30. Des avions ennemis volant bas nous attaquèrent sans grand succès; notre défense était trop forte. Nous passâmes par les abords sud d'Argueil, sans trouver trace de troupes adverses où que ce fût dans la ville. Puis le gros de la division reçut l'ordre de s'ébranler et l'allure resta vive jusqu'à Sigy, où la compagnie de Panzers, qui était passée en tête, essuya un tir auquel elle riposta instantanément et avec force.
 [.......]
Je reçus alors un message sans fil m'informant que le détachement de reconnaissance du lieutenant Sauvant avait réussi à s'opposer aux préparatifs ennemis qui avaient pour but de faire sauter les ponts de la route et du chemin de fer à Normanville. Sauvant tenait les deux ponts bien en main et, avec son détachement, il établissait une tête de pont sur l'autre rive.
Ces bonnes nouvelles me déterminèrent à abandonner les opérations à Sigy et je dirigeai en hâte toutes mes unités sur Normanville pour y traverser l'Andelle. Le groupe d'attaque de la division passa le pont et continua l'avance vers l'ouest. Sigy fut pris à 14 heures par une attaque faite en venant de l'ouest et 100 prisonniers britanniques y furent capturés. Le trajet que nous suivîmes alors laissait de côté, autant que possible, les villages. Au cours des quelques jours précédents, nous avions obtenu de bons résultats en livrant nos attaques à l'écart des routes. Celle du 25e Panzers commença ponctuellement. Au début, nous ne rencontrâmes pas d'ennemis dans les petits villages que nous traversions ; mais, au bout de quelque temps, nous découvrîmes que des estafettes et des voitures de renseignements ennemies avaient fait une apparition soudaine dans notre colonne de chars et circulaient avec elle. De temps en temps, nous entendions des détonations isolées.

Attaque simulée sur Rouen
 
Vers 20 heures, une compagnie du régiment de Panzers fut envoyée sur la route de Rouen pour s'emparer du carrefour situé à 8 kilomètres à l'est de la ville et assurer la protection des unités d'artillerie et de D.C.A. qui y étaient également envoyées. Mon intention était d'alarmer les troupes ennemies autour de Rouen par un barrage à longue portée et, ainsi, de leur donner le change sur mon plan véritable, qui était de m'emparer, plus tard dans la soirée, des ponts de la Seine à Elbeuf [voir point 4 sur la carte].
La compagnie de Panzers était au carrefour à 2o heures ; mais la colonne de gauche n'avait pu progresser à l'allure que j'aurais désirée -son arrière était apparemment engagé près de Martainville - et nous ne fûmes donc pas en mesure de réaliser un déploiement rapide de l'artillerie lourde et antiaérienne autour du carrefour.
 
Tandis que le jour baissait lentement, j'attendais en vain l'apparition de cette colonne, lorsqu'une partie du 7e Fusiliers se montra enfin. Sans doute la colonne de droite avait-elle eu, elle aussi, à combattre et le bruit de la bataille se rapprocha parfois tellement que nous fûmes forcés de quitter la route et de chercher refuge dans les buissons.
Des prisonniers commencèrent alors à être amenés de tous les côtés. A l'occasion, des véhicules ennemis étaient découverts dans des endroits où ils avaient été cachés. Enfin, juste avant qu'il ne fît tout à fait nuit, un message nous apprit que la colonne de droite était arrivée au carrefour situé à 8 kilomètres de Rouen et qu'elle avait étai le contact avec la colonne de gauche. Nous nous rendîmes aussitôt auprès du 25e Panzers afin de lui donner les ordres relatifs à l'avance vers les ponts de la Seine. Un quart d'heure plus tard, la colonne de gauche, formée du 25e Panzers et du 7e bataillon de motocyclistes, partit en avant-garde dans cette marche vers la Seine. Nous-mêmes marchâmes, avec l'équipe de signalisation, à la suite du régiment de Panzers. Bientôt, il fit complètement sombre. Nous passâmes près d'un char abandonné qui semblait avoir perdu une chenille.
Tandis que nous croisions la grand-route de Rouen à Pont-Saint-Pierre [voir point 1 sur la carte], aux abords est de Boos [voir point 2 sur la carte], l'arrière de la colonne formée par le 25e Panzers fut attaqué par un char ennemi ou un canon antichars tirant d'une centaine de mètres. Sans doute nos propres équipages ne purent-ils entendre la canonnade ni les éclatements dans le bruit de leurs moteurs, car au bout d'une minute aucun de nos chars n'avait encore répondu et toute la colonne continuait à progresser vers le sud-ouest. La pièce ennemie put ainsi nous envoyer 10 ou 15 projectiles sans que nous ripostions. Par extraordinaire, aucun de nos véhicules ne fut touché. Afin de signaler à nos chars cette menace sur leur flanc droit, j'envoyai au chef de celui qui était le plus proche de nous l'ordre d'ouvrir le feu avec des projectiles traçants. Nos chars ne tardèrent pas à en faire autant et l'ennemi fut vite réduit au silence. Nous continuâmes notre route à travers la nuit

Vers Elbeuf à-travers les villages endormis
 
L'obscurité nous gênait beaucoup pour suivre notre itinéraire avec les cartes insuffisantes que nous possédions. Le bruit que nous faisions en passant dans les villages y tirait les gens de leur sommeil et les amenait au pas de course dans les rues pour nous souhaiter la bienvenue - en tant que Britanniques ! Nous passâmes devant une batterie antiaérienne ennemie ; son local de garde était encore éclairé et la sentinelle nous présenta les armes. Ce fut le lendemain matin seulement que nous découvrîmes que plusieurs pièces de D.C.A. s'étaient trouvées prêtes à tirer à quelques mètres de nous. Aux Authieux [voir point 2 sur la carte], nous primes la direction du sud et nous arrivâmes à Sotteville [voir point 3 sur la carte] à minuit. Nous étions les premières troupes allemandes à atteindre la Seine.
Les freins grondaient et grinçaient sur les virages de la route. Une lumière brillait çà et là sur l'autre rive ; il y en avait aussi à différents endroits de la voie ferrée qui suit la vallée de la Seine. Nulle troupe ennemie ne se montrait et tout semblait favoriser le succès de notre raid contre les ponts de la Seine, qui n'étaient plus qu'à une quinzaine de kilomètres.
La radio ne fonctionnait pas - comme d'habitude quand il faisait nuit - et depuis longtemps nous n'étions plus en communication avec l'état-major divisionnaire ni avec nos autres colonnes. La colonne des chars se rapprochait progressivement d'Elbeuf le long de la vallée de la Seine.

Une femme demande à Rommel s'il est Anglais
 
Comme nous passions sous un pont de chemin de fer, une femme s'élança d'une maison située sur la droite de la route, courut à ma voiture de commandement et, me saisissant par le bras, me demanda anxieusement si nous étions Anglais; ma réponse la désappointa fort.
Je fis arrêter le régiment de Panzers et passer devant lui le bataillon de motocyclistes, renforcé par 5 Panzers III. Les motocyclistes devaient aller de l'avant et envoyer des groupes de combat, bien soutenus par les chars, saisir les deux ponts de la Seine à Elbeuf. Ils avaient mission de les tenir fermement et de les garder libres. Il fallut quelque temps pour que le bataillon prît la tête à travers le reste de la colonne, puis qu'il se reformât, avec les chars cette fois. Nous étions toujours sans contact avec les autres éléments de la division.
Nous attendîmes avec anxiété des nouvelles de ces groupes de combat, quand les aiguilles de ma montre marquèrent 1 h. 30. Ils devaient pourtant avoir depuis longtemps atteint les ponts d'Elbeuf. Peu après 2 heures, je partis dans cette direction, suivi du 25e Panzers, car je voulais voir par moi-même comment avait tourné l'entreprise. En outre, je savais qu'une heure et demie plus tard, ce serait l'aube et qu'il pourrait être alors fâcheux de nous trouver surpris en colonne sur la route de la Seine, car les falaises de la rive gauche cachaient sans doute de l'artillerie ennemie en position. Je tenais par conséquent à tout prix à faire passer avant l'aube le gros de mon effectif sur les hauteurs d'une des rives.
A Elbeuf [voir point 4 sur la carte, en fait, St Aubin les Elbeufs], nous trouvâmes nos véhicules tout à fait embouteillés dans les rues étroites au nord de la Seine et je dus aller en avant à pied pour parvenir à la tête du 7e bataillon de motocyclistes. J'y constatai que les groupes de combat n'avaient pas encore commencé la mission que je leur avais confiée relativement aux ponts ; pourtant, le bataillon se trouvait dans la ville depuis plus d'une heure. On me dit qu'à leur entrée dans Elbeuf, nos hommes avaient constaté sur les ponts une circulation active de véhicules civils et militaires. Un officier me dit également qu'il y avait déjà eu des coups de feu près des ponts.

Les Français font sauter les ponts d'Elbeuf
 
La situation était confuse et les perspectives de succès devenaient assez minces, maintenant que le bataillon venait de passer toute une heure dans la ville à quelques centaines de mètres seulement de ses objectifs. Mais je pensai que tout n'était pas perdu et j'ordonnai au commandant du bataillon de lancer immédiatement son attaque contre les deux ponts. Sous le couvert de l'obscurité, je m'approchai moi-même du pont. Il y avait des civils dans les rues ; les carrefours étaient barrés par des sacs de sable; à l'un d'eux, était couché un soldat mort. D'autres minutes précieuses passèrent tandis que les groupes de combat se reformaient. Le premier partit enfin - il était presque 3 heures du matin [le 9 juin] - mais n'arriva pas jusqu'au pont, car l'ennemi fit sauter celui-ci avant que le groupe eût parcouru 100 mètres. Il en fut de même quelques minutes plus tard pour le deuxième pont. Plusieurs fortes détonations se succédèrent de l'ouest et de l'est, de près et de loin. Les Français avaient détruit tous les ponts de la Seine.
J'étais extrêmement irrité de notre échec. Je n'avais pas la moindre idée de l'endroit où pouvait se trouver le gros de la division. Nous avions derrière nous les nombreux villages, tenus par l'ennemi, que nous avions traversés pendant la nuit, et l'aurore, en se levant, me montrait deux ballons d'observation captifs dans le ciel, près de Rouen. Il semblait que nous allions avoir à nous battre. Je décidai donc de nous retirer de la péninsule allongée dans laquelle nous nous étions avancés. Les troupes se mirent en mouvement sans attendre. Heureusement, la vallée de la Seine était plongée dans la brume et nous n'avions pas à redouter de tir ennemi provenant de la rive opposée.